Encore un ouvrage sur le génocide des Juifs d'Europe par les nazis, dira-t-on. Tel n'est pourtant pas le cas. Malgré ses dimensions modestes, cet ouvrage a l'ambition pionnière d'ouvrir la réflexion épistémologique sur l'histoire de ce qui, avant d'être un objet de méditations métaphysiques ou morales, est d'abord un événement : Par là, le génocide relève des procédures communes au métier d'historien ; du fait de sa nature, il présente toutefois des spécificités (type des sources matérielles, oralité des ordres décisifs, politique de destruction des témoignages, etc.) qui contraignent également à réfléchir à l'application de ces mêmes procédures. Ainsi, entre autres questions, comment exploiter des archives si on ignore les modalités de circulation de l'écrit au sein de la bureaucratie nazie ? Comment décrypter un texte selon que la réalité d'un fait est arasée par la banalité du langage administratif ordinaire ou occultée par les euphémismes d'un codage volontaire ? Comment utiliser un témoignage sans une réflexion préalable sur la différence de nature entre victimes, survivants et témoins ? Raul Hilberg analyse tour à tour les types de sources (pièces verbales, pièces documentaires, pièces diffusées ou confidentielles, non diffusées, témoignages) ; leur composition (signatures, séries, format, annotations, archivage, témoignages) ; leur style (formules d'usage, formules spéciales, mots spéciaux, symboles, vocabulaire codé, enjolivures, etc.) ; leur contenu (détails, lacunes, ouï-dire, omissions, fausses déclarations, inexactitudes, etc.) et leur exploitation (importance, caractère non échangeable, recoupement, diffusion : de la divulgation exceptionnelle à la rétention exceptionnelle). Il est question ici non pas du devoir de mémoire, mais de la nécessité de savoir comprendre les faits, par-delà mémoire et oubli.
GRAMMAIRE DES CIVILISATIONSAu début des années soixante, Fernand Braudel fut sollicité pour rédiger un texte consacré aux grandes civilisations, désormais au programme des classes de terminale, un projet qu'il défendait de longue date. Dans ce manuel, publié pour la première fois en 1963, la langue de Braudel, éloquente et limpide, sa volonté de transmettre à un jeune public une vision de l'Histoire nourrie des autres sciences humaines, servirent à merveille la conviction qui fut toujours la sienne : "Enseigner l'histoire, c'est d'abord savoir la raconter." Par son ambition - il s'attache successivement à l'islam, à l'Afrique noire, à l'Extrême-Orient, aux civilisations européennes, à l'Amérique et à la Russie - et la clarté de son propos, Grammaire des civilisations est devenu un classique traduit en plusieurs langues.720/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2503002058116
LES GRANDES DECONVENUES - LA RENAISSANCE, SUMATRA, LES FRERES PARMENTIEROn dit que la France, au XVIe siècle, a manqué son rendez-vous avec le Monde, puisqu’elle n’aurait pris aucune part à l’épopée de l’exploration des sociétés lointaines – flirtant avec le Brésil, mais boudant l’Asie. Pourtant, deux capitaines dieppois, Jean et Raoul Parmentier, conduisent jusqu’à l’île de Sumatra, en 1529, deux nefs de fort tonnage. Ils en ramènent des plaies, des bosses et un peu de poivre. Aujourd’hui oubliée, leur navigation fut érigée au XIXe siècle en preuve incontestable d’une contribution française glorieuse à la geste des Grandes découvertes. C’est toute la Renaissance occidentale qui aurait débarqué, sous pavillon tricolore, en Insulinde. La fable est flatteuse pour l’idée que nous nous sommes longtemps faite de nous-mêmes comme de pionniers, voire de missionnaires de la « modernité ». Il n’est pas certain qu’elle résiste à l’examen. Menée en archives et dans les méandres des chroniques, l’enquête oblige à s’intéresser d’un même mouvement au monde des marins normands et à celui des négociants malais, à la cour de François Ier et à celle du sultan de Tiku, à la poésie mariale du « Puy » de Rouen et à celle des maîtres de mystique musulmans. Ce qui se joue alors le long du troisième parallèle, lorsque les Dieppois font relâche à Sumatra, ne se comprend qu’à condition de rouvrir les portes de la comparaison – entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est aussi bien qu’entre le savoir des « gens de mer » et celui des érudits. En nous aidant à contempler, défardées, nos grandes déconvenues, cette traversée nous invite à penser la « modernité » au pluriel et la Renaissance au conditionnel.
Directeur de recherche au CERI (Sciences Po-CNRS), Romain Bertrand est notamment l’auteur, au Seuil, de L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle) (2011), et Le Détail du Monde. L’Art perdu de la description de la nature (2019). Il a également dirigé L’Exploration du monde. Une autre histoire des Grandes Découvertes (2019).1,350/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2503002058106
L'HISTOIRE A PARTS EGALES - RECITS D'UNE RENCONTRE, ORIENT-OCCIDENT (XVIE-XVIIE SIECLE)S'il n'a jamais été autant question "d'histoire-monde", c'est souvent la même histoire du monde qui s'écrit : celle de l'Europe et de son "expansion" en Afrique, en Asie et aux Amériques. Comme si les sociétés extra-européennes se trouvaient toujours réduites à leur rapport à l'Europe. Pour Romain Bertrand, il n'est d'autre remède à cet européocentrisme obstiné qu'une histoire à parts égales, tramée avec des sources qui ne soient pas seulement celles des Européens. C'est ce qu'il propose dans ce texte, en offrant le récit détaillé des premiers contacts entre Hollandais, Malais et Javanais au tournant du XVIIe siècle.880/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2503002058045