La maladie mentale a pu paraître au yeux d'un certain bergsonisme, celui de Gilles Deleuze, spontanément et heureusement engagée dans le passage du statique au dynamique que décrit Bergson à la fin des Deux sources de la morale et de la religion. Un bergsonisme qui, sous le nom de schizo-analyse, conduisait ainsi chez Deleuze à une véritable mystique de la maladie mentale. L'intention de cet ouvrage est d'abord de produire une critique bergsonienne de cette schizo-mystique en faisant voir que la nuit obscure, où le mystique côtoie la folie, n'est pour Bergson que l'anti-chambre du mysticisme complet, qui, lui, est mysticisme de l'action. De sorte que l'inhabituel, l'exceptionnel et le surhumain ne sauraient être en rien, selon Bergson, la création schizophrénique détournée de l'appel du présent, mais bien plutôt la simplicité de l'administration pragmatique confiante et quotidienne du présent. On aurait tort de penser, comme le fait Deleuze à propos d'Artaud, ou (dans le sillage d'Heidegger) Maurice Blanchot à propos d'Hölderlin, que la maladie autoriserait la vérité à accomplir, sous l'espèce du démonique, de l'indéterminé, une percée qui lui est refusée dans la santé. La psychose n'est que secondairement la folie choisie par Dieu pour sauver les croyants ; elle est d'abord, comme l'enseigne l'attention à la parole psychotique (celle d'Hölderlin, ou du danseur Nijinski), une expérience personnelle insupportable dénuée de tout rapport à aucune fondation ni donation. Muette, la divinisation psychotique ne transporte par elle-même jusqu'aux hommes aucun message de l'au-delà ; elle est un sentiment intense, extrême, mais sans objet et sans but. L'idée qu'au temps des dieux enfuis succède un temps du dieu qui va venir, s'établit sur une profonde incompréhension de l'athéisme psychotique, qui est cependant fondatrice de culture et de religion.
Enfin, l'ouvrage passe de la critique bergsonienne de l'ontologie "psychotique" soutenue par Deleuze dans son interprétation de la peinture de Bacon, à la critique de la philosophie de Bergson elle-même. À Bergson il oppose les philosophies lavelliennes et fichtéennes de la réflexion et de la liberté. L'intuition bergsonienne a bien pour nom la liberté, et s'accomplit dans la simplicité de l'action plutôt que dans la fuite schizophrénique du présent. Toutefois, à la différence de la liberté fichtéenne, qui est réflexivité, écart avec soi et avec l'absolu, en lequel elle introduit duplicité et dialecticité, la liberté bergsonienne est coïncidence du moi avec lui-même et insertion dans l'absolu. A cette conception "océanique" de la liberté comme dissolution dans la simplicité de l'élan universel de vie, Fichte et Lavelle opposent une philosophie de l'absolu vivant exigeant l'apparition d'une pluralité infinie d'esprits particuliers qui, chacun, devront se constituer par une démarche totalement originale de leur liberté.
LE DETAIL DU MONDE - L'ART PERDU DE LA DESCRIPTION DE LA NATURELes mots nous manquent pour dire le plus banal des paysages. Vite à court de phrases, nous sommes incapables de faire le portrait d’une orée. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Au temps de Goethe et de Humboldt, le rêve d’une « histoire naturelle » attentive à tous les êtres, sans restriction ni distinction aucune, s’autorisait des forces combinées de la science et de la littérature pour élever la « peinture de paysage » au rang d’un savoir crucial. La galaxie et le lichen, l’enfant et le papillon voisinaient alors en paix dans un même récit. Ce n’est pas que l’homme comptait peu : c’est que tout comptait infiniment. Des croquis d’Alfred Wallace aux « proêmes » de Francis Ponge, des bestiaires de William Swainson aux sonnets de Rainer Maria Rilke, ce livre donne à entendre le chant, aussi tenace que ténu, d’un très ancien savoir sur le monde – un savoir qui répertorie les êtres par concordances de teintes et de textures, compose avec leurs lueurs des dictionnaires éphémères, s’abîme et s’apaise dans le spectacle de leurs métamorphoses.
Romain Bertrand
Directeur de recherche au CERI (Sciences Po-CNRS), il est notamment l’auteur de L’Histoire à parts égales (2011, Grand Prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2012).
LIRE LES IMAGES - HERMENEUTIQUE DE L'ARTComment comprendre une oeuvre d'art?? Peut-on lire une image en art comme on lit un texte?? Qu'est-ce qui distingue une image artistique des autres catégories d'images?? L'herméneutique méthodologique, centrée sur l'interprétation des textes (littéraires, religieux, juridiques), est restée relativement silencieuse sur la compréhension des arts visuels. C'est pour combler ce vide relatif qu'est né le projet de ce livre. Il s'agit en somme d'interroger la textualité des images en art. La confrontation entre le texte et l'image n'a rien de gratuit quand on sait l'importance des textes classiques, placés en position d'autorité, dans la production de tout un pan de l'art occidental. La confrontation n'a rien d'inutile quand on sait que poésie et peinture ont longtemps été rassemblées comme des «?arts frères?». L'enjeu qui traverse cette réflexion est toutefois de savoir si l'image peut se réduire à sa seule lisibilité, au risque de perdre sa visibilité.1,270/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2503002058033
RICOEUR ET SES CONTEMPORAINS - BOURDIEU, DERRIDA, DELEUZE, FOUCAULT, CASTORIADISSi l'on connaît aujourd'hui le dialogue fructueux que Paul Ricoeur a noué avec les penseurs structuralistes, on ignore largement son positionnement face à la mouvance post-structuraliste. Faut-il opposer la philosophie de Ricoeur au post-structuralisme à la française ou faut-il au contraire montrer qu'elle en est une variante singulière ? Au terme de son étude, Johann Michel défend la seconde option. Certes, l'auteur met en garde le lecteur contre toute tentative de réification du post-structuralisme dès lors qu'il ne s'agit pas d'une école de pensée mais d'une reconstruction qui relève de l'histoire de la philosophie. Le plus petit dénominateur philosophique commun qui permet de donner un sens à cette reconstruction tient dans le projet d'intégrer des prérequis du structuralisme assorti d'une ambition de dépassement. Dans la mesure où la négociation de cette traversée et les horizons de dépassement ont été construits de manière chaque fois particulière par chaque penseur, l'auteur plaide pour parler de post-structuralismes au pluriel. C'est la raison pour laquelle J. Michel propose des confrontations dyadiques entre Ricoeur et certains de ses contemporains (Deleuze, Derrida, Foucault, Bourdieu...) que l'on regroupent habituellement dans cette mouvance.1,050/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2503002058013
PAR-DELA LE PRINCIPE DE REPRESSION - DIX LECONS SUR L'ABOLITIONNISME PENAL"Tout interroger, tout bousculer, tout refonder, et produire, à partir de là, quelque chose comme une désorientation générale de nos sens, une transformation des affects que nous sommes souvent conduits à éprouver lorsque nous sommes victimes ou témoins d'une agression, d'une scène de violence ou d'une injustice : tel serait le projet que j'aimerais accomplir ici. Comme une entreprise de destruction de nos repères culturels et de construction d'une nouvelle morale, qui se situerait au-delà du principe de répression - qui serait débarrassée, enfin, de l'emprise que les notions de crime, de responsabilité, de plainte et de punition exercent sur notre appréhension des actions humaines et de leur régulation. En un sens, je conçois ce livre comme une sorte d'expérimentation radicale, qui testerait la capacité de la réflexion d'être plus forte que les impulsions premières et les impensés sociaux. Sommes-nous capables d'être affectés par un raisonnement au point de remanier complètement nos manières de percevoir et donc aussi de nous comporter individuellement et politiquement ? Et si non, à quoi sert la philosophie ?"1,380/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2503002055380